Arregi, constructeur d’espaces – Jean-François Larralde [FR]

Arregi est l’héritier de ces sculpteurs préoccupés par les démarches spatiales qui sont une constante de la sculpture moderne et contemporaine depuis les origines des avant-gardes du début du vingtième siècle, et, principalement, depuis la naissance du Constructivisme, jusqu’à l’apparition de l’École Basque de sculpture dans les années 1960 avec Jorge Oteiza et Eduardo Chillida.

 

Au-delà de l’attitude devant l’art, du style, l’apport qu’Oteiza fournit à Arregi, comme aux artistes basques, après son retour d’Amérique du Sud, résida dans la recherche, à travers la sculpture, des racines culturelles basques et dans la relation avec la tradition populaire de son peuple.

 

La matière et l’espace sont les deux éléments essentiels de la sculpture d’Arregi qui se combinent en totale interdépendance et autour desquelles gravitent tous les autres. À travers le métal, l’artiste cherche à découvrir ses propres origines en exprimant une pensée d’ordre esthétique en rapport avec la densité, l’espace, le temps, la lumière, la texture. La matière remplit une fonction importante dans sa sculpture, qui ne consiste pas exclusivement à donner corps à une idée. Pour arriver, à travers la matière, à poser une problématique d’ordre esthétique, le sculpteur passe toujours d’une attitude éthique à une position esthétique. Arregi éprouve une prédilection particulière pour l’acier. Il fait usage d’une matière naturelle, le fer, qui, bien qu’il exige un traitement industriel, se trouve à l’état brut dans la nature. Arregi utilise un acier spécial qui, après avoir subi une oxydation sur ses surfaces, demeure inaltérable à l’action des éléments naturels, puisque c’est l’agent protecteur qui empêche l’évolution du processus de détérioration. Les forges d’Arrasate-Mondragon, ville natale du sculpteur, s’expliquent par la présence du minerai de fer dans la région. Abondant et d’excellente qualité, il est employé depuis longtemps pour fabriquer l’acier, cette ville étant celle qui se consacrait pratiquement exclusivement à son élaboration. L’acier établit des relations spécifiques avec l’espace. Il l’occupe, le délimite et le transforme.

 

Le choix de ce matériau est intimement lié aux considérations spatiales ainsi qu’à l’intention de doter l’œuvre d’un espace réel. Si le bois est un matériau sculptural traditionnel, l’acier est relié aux apports de notre modernité à la sculpture et au rapprochement de celle-ci à l’industrie et l’architecture. La démarche du sculpteur est plus proche des techniques industrielles que des procédures artisanales. Son travail avec l’acier suppose un cheminement plus profond dans l’évolution des relations volumétrico-spatiales.

 

Dans certaines pièces, la masse jouit d’une plus grande importance que l’espace, elle accomplit la fonction de signaler un lieu comme le faisaient les anciennes stèles discoidales. Leur formulation présente souvent deux parties bien distinctes. Une grande, haute et dense base d’acier, dans sa partie inférieure, au caractère massif d’où émergent, dans la partie supérieure, des volumes aériens qui perdent de leur densité, et deviennent plus légers, se courbent et se brisent en marquant une écriture dans l’espace. Le caractère quasi gestuel, très dynamique, de certaines pièces se trouve surtout dans leur partie supérieure, dans les volumes qui prennent tout leur développement dans l’espace. Mais ce dynamisme est parfois compensé par le hiératisme et la gravité qui caractérisent la partie inférieure.

 

Des sculptures dans lesquelles coexistent des lignes droites, planes et un plan courbe qui modifie le vide obtenu à l’intérieur de l’œuvre et augmente les contacts de celle-ci avec l’espace environnant.

 

La sculpture d’Arregi est le produit d’un assemblage d’éléments formels avec des vides internes délimités par des plaques d’acier qui forment ses surfaces. Ces plans métalliques, à aucun moment, n’apparaissent totalement fermés, chacun a une surface de dimensions différentes puisque tous se trouvent interrompus par l’espace. Les plans qui constituent la sculpture se composent d’une partie matérielle et d’une autre partie spatiale, avec une prédominance évidente pour la première ou la seconde.

 

Certaines pièces offrent une plus grande simplification formelle et un espace plus isolé. D’autres présentent une plus grande complexité spatiale interne, il ne s’agit plus d’un vide isolé, ininterrompu. Ici, l’espace est divisé pour continuer dans d’autres vides ou pour se multiplier en formant plusieurs vides. L’expressivité spatiale est alors plus forte. Toutes les sculptures ne possèdent pas la dimension appropriée pour être intégrées dans l’espace public, mais portées à une échelle plus grande, elles pourraient remplir une fonction urbanistique. Ces œuvres sont potentiellement liées à l’idée de monumentalité par la puissance qui émane du déploiement de leurs formes dans l’espace.

 

Certaines sculptures se constituent sur la création de vides internes, sur l’expression d’un plus grand géométrisme dans la définition spatiale et parfois de la grande densité de la masse qui prévaut sur l’espace. D’autres pièces sont plus fermées, leurs volumes sont plus concentrés et repliés sur eux-mêmes, l’espace existe à l’intérieur, contenu, dégageant une certaine quiétude à travers les vides qui ne sont pas statiques, puisque l’échange qui existe entre eux apporte dynamisme et mouvement qui confèrent une grande solennité à l’œuvre.

 

Ces sculptures présentent en commun un caractère constructif marqué, obtenu à travers la tridimensionnalité, jamais à partir du plan. La prolifération de ses formes, adaptées à des créations monumentales, confère à ces dernières une qualité architectonique et une densité remarquable, en même temps qu’une légèreté visuelle dues, pour une bonne part, à la nature équivoque de leurs espaces, intérieur et extérieur.

 

Ainsi, l’artiste obtient un parfait équilibre entre statisme et dynamisme, symétrie et asymétrie, formes gestuelles, courbes, spontanées et formes contenues, géométriques, formes simples et formes labyrinthiques, volumes denses et légers, masses plus fermées à l’espace et masses ouvertes que l’espace parcourt librement. La sculpture d’Arregi témoigne, dans sa sensibilité inventive, d’une nature lyrique généreuse.

– Jean-François Larralde